Langage & soins centrés sur la personne

Langage et soins centré sur la personne en diabète et obésité

Réflexion clinique sur la place du langage dans la médecine moderne · Replacer l’individu au centre du soin

« Vous n’êtes pas une maladie, vous avez une maladie »
Dr. Hugo LamatmetaHormone

Résumé


La confusion entre identité existentielle (« je suis ») et identité possessive (« j’ai ») est fréquente dans les maladies chroniques, entraînant une réduction identitaire délétère. Dans l’obésité et le diabète en particulier, ce glissement sémantique alimente la stigmatisation, accroît la détresse psychologique et fragilise l’adhésion thérapeutique. L’adoption d’un langage person-first (« personne vivant avec… ») ne relève pas d’une simple esthétique linguistique, mais constitue un standard de qualité des soins, validé par les données scientifiques montrant son association avec une meilleure relation soignant–soigné, une diminution des examens redondants et une efficience accrue du parcours de soins. Nous proposons dans cet article un cadre opérationnel articulé autour de trois axes : (1) un langage clinique sécurisant, (2) une organisation de la consultation centrée sur le récit de la personne et la médecine narrative, et (3) une pratique de la décision partagée. Un lexique de sécurité en diabétologie–obésiologie est présenté, en soulignant les angles morts et limites de cette approche. Séparer qui est la personne de ce qu’elle a, sans occulter les contraintes médicales, constitue aujourd’hui une exigence éthique et scientifique pour la prise en charge moderne des pathologies chroniques.

Introduction


L’essor des maladies chroniques telles que l’obésité et le diabète a entraîné une médicalisation croissante du quotidien. Pourtant, de nombreuses personnes rapportent que la manière dont leur maladie est étiquetée dans les systèmes de santé et dans la société influence directement leur expérience de soins [1][2]. Le langage utilisé par les soignants et les institutions contribue parfois à réduire l’individu à son diagnostic, renforçant la stigmatisation et les biais implicites [3][5][8]. Reconnaître que la personne n’est pas sa maladie mais qu’elle vit avec elle constitue un changement de paradigme essentiel, en cohérence avec les principes de la médecine centrée sur la personne [4][12].

La stigmatisation des maladies chroniques — un fardeau normalisé


La stigmatisation constitue un facteur majeur de détresse et de mauvaise qualité de vie dans les maladies métaboliques. L’étude DAWN2 a montré que le vécu de la stigmatisation dans le diabète est associé à une diminution de l’adhésion thérapeutique et à un risque accru de dépression [5]. Des analyses conceptuelles récentes confirment que la stigmatisation dans les maladies chroniques altère non seulement la perception de soi mais aussi les relations sociales et la confiance dans les soignants [11].

Dans l’obésité, la stigmatisation demeure un obstacle reconnu par les recommandations internationales. Le consensus 2023 de l’American Association of Clinical Endocrinology souligne que la reconnaissance de l’obésité comme une maladie chronique, biologique et multifactorielle, doit aller de pair avec la lutte contre les biais sociaux et médicaux [1]. Réduire l’individu à son poids ou à son diabète est donc une violence symbolique, contraire aux objectifs d’une médecine efficace [1][5][8].

Les biais implicites dans le système de soins — des angles morts collectifs


Les biais implicites sont omniprésents, notamment dans le codage des maladies et dans l’utilisation des dossiers médicaux électroniques. Une étude récente a montré que le langage employé dans les comptes rendus et les codes diagnostics pouvait véhiculer des jugements de valeur et renforcer les discriminations, en particulier dans le diabète [3].

Les biais inconscients chez les soignants impactent également la qualité des décisions thérapeutiques et la relation médecin–patient [8]. Une pratique réflexive et une formation adaptée sont nécessaires pour les identifier et les réduire.

Langage centré sur la personne (« Person-first ») — un standard du soin, pas un simple « politiquement correct »


Le langage de communication soignant–personne structure l’organisation des soins ; langage et processus doivent être alignés pour éviter la dissonance. Les Standards of Care 2025 recommandent explicitement un langage person-first et inclusif, à appliquer aux recommandations, à l’éducation thérapeutique et à l’écriture clinique [10]. Ce cadre contribue à réduire l’étiquetage et les biais implicites, et soutient l’autonomie décisionnelle en rappelant que la personne n’est pas réductible à un biomarqueur ou à un diagnostic [8]. Il s’inscrit dans l’architecture plus large des soins centrés sur la personne promue par l’OMS, qui exige cohérence entre communication, décision et organisation des parcours [4].

Soins centrés sur la personne (« People-centred care ») — du mot à la structure du soin


Le cadre Integrated, People-Centred Health Services de l’OMS ne se limite pas au vocabulaire : il demande de reconfigurer l’offre autour des priorités de la personne et de sa communauté, en rendant explicites la décision partagée et la coordination des parcours [4]. En diabétologie–obésiologie, cela implique de dépasser HbA1c/IMC pour intégrer douleur, sommeil, fonction et adhésion ; d’outiller la décision (options, bénéfices, risques, incertitudes) dans un cadre de sécurité; et de tracer la valeur en mesurant des résultats rapportés par les patients (RRP/PROs) aux côtés des biomarqueurs, selon des référentiels et banques d’items validés [13][14]. Les Standards of Care 2025 alignent cette approche centrée-personne sur l’organisation des soins du diabète [10], tandis que la formation à la décision partagée améliore la qualité décisionnelle et l’engagement, soutenant l’efficience des parcours [7][12].

La médecine narrative — un outil de recentrage


La médecine narrative propose un cadre permettant de replacer le récit de la personne au centre du soin. Décrite dès 2001 comme une méthode favorisant l’empathie, la réflexion et la confiance [9], elle s’est développée en pratique clinique et en formation des professionnels de santé [6]. Les revues récentes confirment son utilité dans l’amélioration de la relation thérapeutique et dans la lutte contre la déshumanisation des soins [6]. Cette approche rappelle que la personne n’est pas réductible à ses paramètres biologiques : son histoire, ses émotions et ses contextes de vie sont indissociables de la prise en charge [9].

Décision médicale partagée (DMP) — du choix imposé au choix co-construit


La pratique centrée sur la personne améliore l’état de santé et réduit les examens et orientations inutiles en favorisant la perception d’un terrain d’entente [12]. La formation des cliniciens à la DMP renforce les connaissances, la clarification des valeurs, l’engagement et certains comportements de soin [7]. En parallèle, la médecine narrative développe des compétences d’attention, de représentation et d’affiliation qui stabilisent l’alliance thérapeutique et rendent la décision plus juste [9][6]. La DMP s’inscrit pleinement dans le modèle de soins intégrés prôné par l’OMS [4] : l’effet clinique ne vient pas d’un mot isolé, mais d’un écosystème qui aligne langage, processus décisionnel et mesure des résultats [4][7][12].

Standards internationaux et approche intégrée


Les recommandations récentes de l’American Diabetes Association et de l’AACE mettent en avant une approche intégrée combinant traitement pharmacologique, accompagnement comportemental et reconnaissance des déterminants sociaux de santé [1][10]. L’OMS appelle également à une transition vers des soins intégrés et centrés sur la personne, afin de dépasser les modèles fragmentés [4].

L’intégration de la lutte contre la stigmatisation, la réduction des biais et le développement de la narration clinique ne sont pas des compléments facultatifs : ils font partie intégrante d’un soin efficace et durable [1][4][10].

Le cas de l’obésité — du stigma pondéral aux critères cliniques


Dire « personne vivant avec une obésité » vise à réduire la stigmatisation et à recentrer l’évaluation sur des critères cliniques et fonctionnels, au-delà du seul poids. Le biais de poids altère l’accès, la qualité perçue et l’adhésion aux soins [5]. Le consensus AACE 2023 recommande une stratégie systémique : formation anti-biais, environnement matériel adapté (pèse-personne, fauteuils, brassards), et définition d’objectifs multidimensionnels incluant douleur, sommeil, mobilité, qualité de vie et métabolisme, et non le poids seul [1]. En parallèle, la Commission The Lancet Diabetes & Endocrinology 2024 propose une définition clinique de l’obésité qui dépasse l’IMC, en intégrant phénotypes, répartition adipeuse et retentissements fonctionnels [2]. La conséquence pratique consiste à associer une sémantique non stigmatisante à une évaluation fonctionnelle régulière (douleur, mobilité, sommeil, santé mentale), au même rang que les biomarqueurs, afin de guider le triage, la priorisation thérapeutique et les indicateurs de suivi [1][2][10][13][14].

Le cas du diabète — de chiffres glycémiques aux parcours centrés sur le vécu


Dans le diabète, réduire la personne à des « chiffres glycémiques » ou une « HbA1c » occulte la complexité du vécu. Le langage person-first est d’autant plus nécessaire que le diabète est fortement associé à la stigmatisation [5][11]. Les Standards of Care 2025 rappellent que l’évaluation doit combiner paramètres biologiques (HbA1c, profil glycémique, complications) et dimensions de qualité de vie, en intégrant explicitement la décision partagée [10]. La mise en œuvre pratique suppose une consultation structurée : clarifier les priorités (symptômes, sommeil, anxiété, activité quotidienne), discuter des options thérapeutiques (technologies, pharmacologie, hygiène de vie) avec bénéfices et contraintes, et tracer la valeur du parcours. La reconnaissance que la personne vit avec un diabète — sans en être l’incarnation — constitue le socle d’une prise en charge qui conjugue efficacité clinique, sécurité et respect de l’identité [10][12].

Résultats rapportés par les patients (RRP) — de l’objectif médical au vécu de la personne


Mesurer les résultats rapportés par les patients (RRP) revient à documenter, à l’aide d’instruments validés, ce que la personne rapporte de sa santé (symptômes, fonctionnement, qualité de vie) afin d’orienter la décision clinique [13][14]. La sélection des questionnaires suit des critères méthodologiques stricts (validité, fidélité, sensibilité au changement, interprétabilité). Les systèmes modernes reposent sur des banques d’items et tests adaptatifs couvrant douleur, fatigue, fonction physique, détresse émotionnelle et participation sociale [13]. L’arrimage aux cadres de résultats centrés-personne permet de relier RRP et biomarqueurs dans un même plan de suivi [14]. En diabétologie–obésiologie, il est pertinent d’administrer 1–2 RRP ciblés (fatigue, sommeil, humeur, fonction) à chaque réévaluation majeure, idéalement en électronique pour réduire le fardeau via tests adaptatifs [13][14]. L’utilisation de seuils cliniques explicites permet de guider l’ajustement thérapeutique et de tracer la valeur créée pour la personne.

Conclusion


Séparer la personne de sa maladie n’est pas une nuance rhétorique, mais une exigence clinique, scientifique et éthique. Les données montrent que la stigmatisation et les biais implicites compromettent l’adhésion, la qualité de vie et les résultats, tandis que l’usage d’un langage person-first, la pratique de la médecine narrative et la décision médicale partagée renforcent l’alliance thérapeutique, améliorent les indicateurs de santé et réduisent les examens inutiles.

En diabétologie–obésiologie, ce paradigme impose de dépasser les repères biomédicaux classiques (HbA1c, IMC) pour intégrer systématiquement le vécu de la personne, à travers des indicateurs fonctionnels et des résultats rapportés par les patients. Les standards internationaux convergent désormais vers ce modèle intégré, qui relie preuves scientifiques, préférences individuelles et priorités vécues.

Redonner à la personne sa primauté identitaire — « vous avez une maladie, vous n’êtes pas une maladie » — revient à construire un soin plus juste, plus efficace et plus humain. Cette transformation, déjà amorcée dans les recommandations, doit devenir une pratique quotidienne et une culture partagée de tous les acteurs du soin.

Références


  1. [1] Garvey WT, Mechanick JI, Brett EM, Garber AJ, Hurley DL, Jastreboff AM, et al. American Association of Clinical Endocrinology Consensus Statement on Obesity: 2023 update. Endocr Pract. 2023;29(5):543–562. doi:10.1016/j.eprac.2023.03.272
  2. [2] Bray GA, Kim KK, Wilding JPH. Definition and diagnostic criteria of clinical obesity. Lancet Diabetes Endocrinol. 2024;12(7):543–554. doi:10.1016/S2213-8587(24)00316-4
  3. [3] Powe CE, Bannuru RR, Caballero AE, Gregg B, Golden SH, ElSayed NA. Diabetes-related bias in electronic health records and ICD coding. J Diabetes Sci Technol. 2023;17(4):1133–1139. doi:10.55729/2000-9666.1133
  4. [4] World Health Organization. Framework on integrated, people-centred health services. Geneva: WHO; 2016. Lien
  5. [5] Nicolucci A, Kovacs Burns K, Holt RIG, Comaschi M, Hermanns N, Ishii H, et al. Impact of living with stigma in persons with type 1 diabetes: The DAWN2 study. Diabetes Ther. 2023;14(7):1435–1447. doi:10.1007/s13300-023-01528-9
  6. [6] Palla I, Turchetti G, Polvani S. Narrative medicine: theory, clinical practice and education – a scoping review. BMC Health Serv Res. 2024;24:1116. doi:10.1186/s12913-024-11530-x
  7. [7] Jaeken J, Billiouw C, Mertens L, Van Bostraeten P, Bekkering G, Vermandere M, et al. A systematic review of shared decision making training programs for general practitioners. BMC Med Educ. 2024;24:592. doi:10.1186/s12909-024-05557-1
  8. [8] Caballero AE, ElSayed NA, Golden SH, Bannuru RR, Gregg B. Implicit or unconscious bias in diabetes care. Clin Diabetes. 2024;42(2):308–314. doi:10.2337/cd23-0048
  9. [9] Charon R. Narrative medicine: A model for empathy, reflection, profession, and trust. JAMA. 2001;286(15):1897–1902. doi:10.1001/jama.286.15.1897
  10. [10] American Diabetes Association Professional Practice Committee. Standards of care in diabetes—2025. Diabetes Care. 2025;48(Suppl 1):S1–S352. Numéro spécial (DOIs par section)
  11. [11] Salih MH, Landers T. The concept analysis of stigma towards chronic illness patient. Hosp Palliat Med Int J. 2019;3(4):132–136. doi:10.15406/hpmij.2019.03.00166
  12. [12] Stewart M, Brown JB, Donner A, McWhinney IR, Oates J, Weston WW, et al. The impact of patient-centered care on outcomes. J Fam Pract. 2000;49(9):796–804. PMID:11032203
  13. [13] International Society for Quality of Life Research (ISOQOL). https://www.isoqol.org/
  14. [14] International Consortium for Health Outcomes Measurement (ICHOM). https://www.ichom.org/
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Dernière mise à jour : 10 octobre 2025
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